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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 09:10

A LEFEBRE 010

 

Pour un soir à la galerie Palladion, l'APRES accueillait pour quelques chansons poétiques et décalées Marc Oriol.

 

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Intervention et débat avec Alain Lefebvre autour de la "culture pour chacun". Il nous propose, ci-dessous, son point de vue sur les nouveaux enjeux des politiques culturelles

 

 

A LEFEBRE 023

 

Dans le contexte de la crise actuelle beaucoup de propos contradictoires sont aujourd’hui véhiculés autour de la culture :

 

D’un côté on déplore le manque de moyens : crise des intermittents, baisse des budgets, en particulier du mécénat. Dans certains pays l’économie de la culture apparaît sinistrée. Ex : le théâtre de Broadway. La culture serait un des premiers postes de dépenses sacrifié tant par les consommateurs que par les financeurs publics ou les mécènes.

 

D’un autre côté des signaux positifs sont notés, en particulier la fréquentation élevée des lieux culturels en 2009. : 8,5 millions de visiteurs en 2008 au Louvre, soit 200 000 entrées de plus que l'année précédente. Et une hausse de 67 % depuis 2001. En ce qui concerne le cinéma, baromètre des sorties culturelles des Français, le Centre national de la cinématographie (CNC) a annoncé le 7 janvier une augmentation de la fréquentation en salles de 6,2 % par rapport à 2007, soit 188,8 millions d'entrées (on est tout de même loin du record absolu de 1957 avec 411 M d’entrées pour 42 millions d’habitants).

 

Comment interpréter ces statistiques flatteuses ? La, directrice des musées de France estime pour sa part que: « La crise incite les gens à se tourner vers des lieux préservés. Le monde change, l'avenir inquiète ? L'intangibilité des oeuvres d'art et la stabilité des musées rassurent ».

Des économistes de la culture constatent par ailleurs qu'en période de crise, les ménages sacrifient des grosses dépenses, mais pas les sorties culturelles bon marché. Après la crise de 1929, les salles de cinéma étaient bondées aux Etats-Unis. Pour d’autres commentateurs certains usagers iraient dans les salles de spectacles (en particulier le théâtre public) par « militantisme culturel » pour compenser la diminution prévisible des budgets publics.

 

Dans une perspective plus stratégique on parle de plus en plus de la culture comme moyen de sortie de crise. Nicolas Sarkozy, lui-même, dans son discours de Nîmes au milieux culturels en janvier dernier disait : « Au moment où toutes nos certitudes vacillent, notre culture est notre meilleur appui pour construire ensemble les voies d’un développement équilibré et d’une civilisation durable. Il n’est pas d’exemple que dans la crise, les peuples n’aient ressenti le besoin de vivre à travers leur culture. ». Il est vrai que ce genre de déclaration ne mange pas trop de pain et il n’est pas du tout certain que les grévistes de la Guadeloupe s’en satisfassent…

 

Entre ces bonnes et ces mauvaises nouvelles on touche au statut ambigu de la culture : quelque part entre la cerise sur le gâteau et la bouée de sauvetage d’une société en faillite.

 

Essayer d’expliquer à partir d’une grille de lecture en 2 parties :

-          la remise en question des politiques culturelles descendantes ;

-          le double statut de la culture à la fois valeur d’usage et valeur d’échange

 

Auparavant un petit travail de clarification terminologique autour de 3 notions : art, culture et créativité. Je ne vais pas tenter de définir la culture, ni l’art ni la créativité mais de les mettre en perspective.

 

Art et culture

 

A LEFEBRE 024

 

Sans chercher à allonger la liste déjà bien longue des définitions de l’art et de la culture, il est nécessaire d’apporter quelques éléments de clarification au sujet de ce qui les réunit et de ce qui les distingue. La culture, c’est un ensemble de valeurs communes à un groupe social. Tacitement, ou de manière explicite, nous les partageons par la langue et les façons de vivre ensemble. Nous sommes du côté des identités. En revanche l’art est d’abord un espace du singulier qui permet de porter un regard critique sur le monde par l’activation de nos imaginaires. Le choc de l’art (son aura disaient les philosophes de l’Ecole de Francfort, Adorno, Horkheimer ou Benjamin) se produit de façon différente pour chacun de nous. L’activité artistique a évidemment également une dimension collective aussi bien dans sa production que dans sa réception. Un groupe de jazz ne va pas jouer de la même manière devant un public chaud ou froid, clairsemé ou abondant

 

La distinction entre art et culture n’implique évidemment aucune subordination de l’un(e) à l’autre. L’activité artistique constitue un élément essentiel d’enrichissement de nos univers culturels. Réciproquement ces univers culturels contribuent largement à façonner les pratiques artistiques, aussi bien celles des amateurs et des publics que celles des artistes professionnels. On sait depuis longtemps que les conditions sociales d’accès à l’art ne sont pas toujours réunies !

 

En termes d’approches disciplinaires de la question, l’histoire de l’art s’intéresse aux évolutions esthétiques. La sociologie de la culture me fait penser à l’aphorisme chinois de l’idiot qui regarde le doigt tandis que le sage lui montre la lune : le sociologue de la culture ne s’intéresse pas au tableau mais plutôt à celles et ceux qui le contemplent. Je ne suis pas sociologue…

 

En termes de politiques publiques il faut prendre en compte les deux aspects artistique et culturel : la politique artistique se situe plutôt du côté de l’offre car, dans nos sociétés libérales, une activité artistique soumise aux seules règles du marché connaîtrait un développement limité. Une politique culturelle est nécessaire également pour favoriser la rencontre entre l’art et ceux qui ne peuvent y accéder directement. Elle est plutôt du côté de la demande et du contexte social dans lequel celle-ci s’inscrit.

 

Créativité et culture

 

Injonction à la créativité. On parle de créateurs. Art, culture, création, cers termes sont souvent employés de façon indifférenciée. Cf les précisions données par un spécialiste italien du développement local, Walter Santagata : la créativité est du côté des moyens moyens. Il y en a partout ex mafia. La créativité doit être maîtrisée par la culture : enjeux esthétiques, éthiques, sociaux. Ex bombe atomique.

 

Je parlerai ici de culture en relation avec l’art et la créativité

 

 

I La remise en question des politiques culturelles descendantes

 

 

« Le modèle de la politique culturelle à la française ignore le « citoyen ». Il est construit sur l’idée d’émancipation des individus qu’il faut éclairer par la rencontre avec les oeuvres de l’art et de l’esprit. Dans ce cadre, le citoyen n’est qu’un individu conditionné. Si on fait parler le citoyen, il demandera ce qui lui fait plaisir, il aura comme attente le divertissement alors que la politique culturelle s’est battue pour « l’épanouissement », qui passe par l’exigence artistique et non le plaisir facile. ». Constatation faites par Jean-Michel Lucas dans un texte de 2007 pour Uzeste musical. Dr Kasimir Bizou

 

Nous avons assisté sinon participé au développement, depuis le début des années 60, de politiques publiques descendantes voire condescendantes. Tout cela au nom d’un pseudo « droit à la culture », réducteur et uniformisateur, avec des résultats assez modestes sur l’objectif affiché de la « démocratisation culturelle » au sens donné à ce terme par Bertold Brecht, à savoir « l’élargissement du cercle des connaisseurs ». (14% en France).

 

Les politiques culturelles ont été marquées en France depuis bien longtemps (bien avant Malraux) par deux idées forces :

-          le peuple est en état de manque culturel, il faut combler ce manque

-          c’est à l’Etat de s’occuper de cela, les collectivités territoriales doivent être mises à distance.

 

La culture est une grande cause nationale, elle est un support essentiel de construction de l’Etat-nation. Le musée du Louvre a été créé en 1793 pour édifier le peuple à partir des collections récupérées dans les châteaux et les églises et participer à la construction de l’identité nationale. Cf les travaux de l’historien Dominique Poulot. Ce jacobinisme culturel est à l’opposé de la philosophie allemande de la fin du 18ème et du début du 19ème (Kant en particulier) concernant l’art et la culture qui les situent délibérément sur le terrain de la subjectivité.

 

Jacobinisme culturel. 2 exemples à titre d’illustration :

-          les missionnaires et les sorciers (article de Claude Gilbert en 1980) ; bcp de hauts fonctionnaires du MCC venaient de l’administration coloniale

-          mon job au DEP en 1969-70 : faire des études d’impact pour convaincre les CL de leur intérêt (au sens financier du terme) d’investir dans la culture.

 

Dans la propagation de cette vision descendante l’éducation populaire a sa part de responsabilité et bien avant 1936. Le mouvement des universités populaires reprend l’idée de manques à combler. Il ne s’agit pas de critiquer cette formidable aventure mais peut-être de porter un regard lucide sur certains de ses aspects. A force de ne mettre l’accent que sur des manques qu’il faudrait combler, on en vient vite à oublier que tous les individus et les groupes sont producteurs de représentations symboliques Cf les travaux de Jacques Rancière. Peut être aussi faudra-t-il un jour réévaluer certaines formes d’action du théâtre populaire et des médiations organisées pour favoriser la venue du public. L’action culturelle, dans les années 60 et 70, a oscillé entre une démarche cherchant à libérer la parole et les sensibilités des personnes et une démarche descendante et normative de sensibilisation aux œuvres d’art. La descente aux enfers d’aujourd’hui des CE (simple billetterie à tarifs promotionnels) ne doit pas nécessairement transformer en image paradisiaque les vertueux convoyages collectifs au TNP d’il y a 50 ans.

La sociologie de la domination de Pierre Bourdieu a d’une certaine manière à valoriser le modèle descendant en faisant de la « culture cultivée », celle véhiculée par les classes dominantes, le seul étalon culturel de référence. Bernard Lahire a nuancé le propos avec son analyse des « dissonnances ».

 

 

A LEFEBRE 017

 

Un contre modèle ascendant ?

 

Ce modèle normatif prend eau de toutes parts. Il n’a pas disparu pour autant et les contre modèles (bottom up par opposition à top down) sont encore balbutiants.

 

Le ministère de la Culture est en grande difficulté mais l’Etat cherche à reprendre la main avec par ex la création d’un conseil de la création culturelle présidé par NS et CA et animé par Martin Karmitz. On pourrait faire un parallèle avec ce qui se passe dans le domaine du pilotage de la recherche : démantèlement du CNRS, montée en puissance de l’ANR.

 

Cela flotte pas mal. Un ex : l’éducation artistique à l’école. Education ou enseignement. Il y a quelques mois NS avait annoncé l’enseignement artistique obligatoire dans le primaire. Certains s’en sont réjouis (par ex l’ancien DG du Louvre, Pierre Rosenberg l’autre jour sur France Culture), d’autres estiment qu’il faut surtout développer les pratiques artistiques à l’Ecole. Je trouve que ce serait pas mal de faire les 2. Le problème c’est qu’on ne fera probablement ni l’un ni l’autre. Une fois de plus. Ex lorsque Lang était ministre de l’EN. Et tout le monde dit que c’est une priorité à tous les niveaux). Il faudrait donner une prime aux collectivités qui s’engagent à ne pas mentionner la question de l’éducation artistique à l’école dans leur programme mais qui en revanche prendraient dans la durée des initiatives concrètes.

 

Ebauche de contre-modèles qui associent des modes de pratiques (individuelles, en groupe ou en termes de politiques publiques) et des référentiels théoriques.

 

1) L’incontournable et indéfinissable diversité culturelle

 

Une première réponse ascendante se situe du côté de la diversité culturelle.

On sait que la diversité culturelle est une notion valise revendiquée aussi bien par Jean-Marie Messier que par SYNDEAC et dont les significations peuvent être contradictoires. Problème d’échelle Vérité au-delà mais pas en deça des Pyrénées ? Ex : en France la diversité est considérée comme un moyen de défendre les industries culturelles nationales alors même que ce pays n’a pas ratifié la charte européenne des langues régionales. Comme le dit bien l’économiste Joelle Farchy, les débats sur la diversité culturelle oscillent en permanence entre une vision économique de la culture limitée aux seules industries qui donnent lieu à des échanges internationaux et une vision anthropologique associant toutes les expressions culturelles et linguistiques.

 

2) La figure du spectateur émancipé ou le récepteur est aussi un producteur. Je reprend ici le titre du dernier ouvrage de Jacques Rancière, mais pas pour en faire l’apologie car je trouve qu’à côté d’une réflexion exigeante et complexe sur l’émancipation mais aussi sur la notion de distance (ce qui relie l’individu au social) le livre comporte un certain nombre de lieux communs. Cela dit on ne peut manquer d’être frappé par la convergence de ses propos avec ceux de Michel de Certeau 30 ans plus tôt. Ce même Michel de Certeau qui a servi de référence à toute une génération d’animateurs culturels et socio-culturels dans les années 70, du moins ceux qui n’étaient pas paralysés par le paradigme althussérien des appareils idéologiques d’Etat ou par le panoptique de Michel Foucault. Quelques extraits de Michel de Certeau dans Les arts de faire :

 

« Les protestations mêmes contre la vulgarisation/vulgarité des médias relèvent souvent d’une prétention pédagogique analogue ; portée à croire ses propres modèles culturels nécessaires au peuple en vue d’une éducation des esprits et d’une élévation des cœurs, l’élite émue par le « bas niveau » des canards ou de la télé postule toujours que le public est modelé par les produits qu’on lui impose. C’est la se méprendre sur l’acte de « consommer ». On suppose qu’ « assimiler » signifie nécessairement « devenir semblable à » ce qu’on absorbe, et non le « rendre semblable » à ce qu’on est, le faire sien, se l’approprier ou réapproprier. Entre ces deux significations possibles, le choix s’impose, et d’abord au titre d’une histoire dont l’horizon doit être esquissé. » (pp.240-241.)

 

Rancière dans une émission radiophonique « Les vendredis de la philosophie » reprenait de façon saisissante le langage de De Certeau : « Il n’existe nulle part d’individus passifs en face des images. Si l’individu est passif, le spectacle n’existe pas, l’image n’est pas vue. En face d’une image, en face d’un spectacle, il y a un travail d’attention, un travail de sélection, un travail de réenchaînement. Un film n’existe que par l’attention du spectateur. Le spectateur fait un peu son propre film avec celui qui est en face de lui, à travers toute une série d’enchaînement avec les spectacles qu’il a déjà vu, les montages d’images et de mots qui l’ont construit lui-même et qui font sa propre aventure intellectuelle. Pas besoin d’être « un intellectuel » pour avoir une aventure intellectuelle.

[…] Il y a comme une ruse du spectateur. On le programme, on lui propose du plaisir, il le prend mais pas forcément comme on veut qu’il le prenne. »

 

Dans Le spectateur émancipé p. 19 Jacques Rancière écrit encore ceci : « L’émancipation commence quand on comprend que regarder est aussi une action qui confirme ou transforme cette distribution des positions. Le spectateur aussi agit, comme l’élève ou le savant. Il observe, il sélectionne, il compare, il interprète. Il lie ce qu’il voit à bien d’autres choses qu’il a vues sur d’autres scènes, en d’autres sortes de lieux. Il compose son propre poème avec les éléments du poème en face de lui. »

 

Nul besoin, dans la perspective du spectateur émancipé, de faire appel à une intelligence collective qui ne serait rendue possible que par la main invisible de la Toile. Ainsi, pour Marc Le Glatin, auteur d’un ouvrage intéressant sur Internet et la culture[1], une infosphère libérée des appétits marchands et gérée par la communauté des internautes constitue la seule véritable chance pour l’établissement d’une démocratie culturelle. L’auteur définit joliment l’art comme « une tentative d’infiltration virale des zones d’occupation du temps libre que les industries culturelles se sont appropriées ».

 

Cette définition est intéressante : les industries du divertissement, non seulement aspirent l’argent des consommateurs, mais surtout occupent largement son temps de travail disponible, ce qui réduit d’autant le temps disponible pour des propositions culturelles. (Cf P. Le Lay ancien patron de TF1)

 

Par ailleurs les caractéristiques traditionnelles des biens publics (non rivalité et non exclusion) sont bien présentes sur la Toile (Il est quasiment impossible d’empêcher l’accès à des produits numérisés). Marc Le Glatin y ajoute la capacité du réseau à promouvoir la création collective et le développement d’œuvres ouvertes

 

La proposition est séduisante mais elle comporte néanmoins quelques zones d’ombre. Ainsi l’absence d’intermédiation sur Internet est saluée par Le Glatin comme une garantie de « fluidité de l’accès au savoir ». Internet favoriserait de la sorte des échanges horizontaux entre personnes à la place des médiations verticales du marketing commercial et des politiques publiques de l’art et de la culture. Mais quid de la question des apprentissages, du rôle de l’Ecole ? L’auteur évoque bien in fine le rôle de la puissance publique pour favoriser l’appropriation par les internautes de pratiques artistiques et culturelles autonomes, mais le balancement constant de l’ouvrage entre une approche libertaire et une demande d’Etat laisse un peu le lecteur sur sa faim. L’Etat a d’ailleurs quasiment déserté le terrain de l’accompagnement dans le domaine des pratiques culturelles numériques avec l’abandon du programme ECM. Tout se passe comme si on laissait face à face les usagers et les industries culturelles sans intermédiation.

 

3) De la diversité culturelle aux droits culturels, troisième figure de la démarche ascendante

 

La question de la diversité culturelle prend un sens plus intéressant lorsqu’on l’envisage sous l’angle des droits. Insitutionnalisé aujourd’hui sous deux formes complémentaires : version UNESCO et version Fribourg. On trouve la notion largement présente dans les agendas 21 de la culture.

 

La notion de droits culturels, très largement médiatisée aujourd’hui, a une origine ancienne, elle trouve sa source dans l’autonomie de la culture, développée dans la philosophie allemande du début du XIXème siècle, la culture ne devant pas être mise au service de l’Etat. Il y a là un transfert conceptuel de la culture depuis l’Etat vers l’individu. L’existence des droits culturels, en tant que droits de l’homme, est d’ailleurs reconnue dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. La Déclaration universelle sur la diversité culturelle adoptée par l’UNESCO en octobre 2005 y fait longuement référence. La Déclaration de Fribourg de 2007, texte issu de différentes composantes de la société civile du Nord et du Sud, fournit d’utiles précisions sur la définition et les conditions de mise en œuvre des droits culturels. Celle-ci implique en tous cas de considérer tous les individus et les groupes comme des producteurs potentiels de représentations symboliques. En corollaire, la reconnaissance de la diversité culturelle et de la pluralité des formes d’expression doit pouvoir s’inscrire dans la perspective de l’échange, du partage d’expériences, de l’interculturalité, aussi loin des replis et crispations communautaires que d’un pseudo universalisme destructeur des identités culturelles.

 

Deux textes complémentaires mais de tonalité assez différente :

-          UNESCO : les droits culturels exigent une diversité culturelle qui appelle elle-même des mesures de promotion et de protection de la part des pouvoirs publics ;

-          Fribourg, ce n’est qu’un texte et par ailleurs on y insiste plus sur les droits culturels considérés avant tout comme des droits de la personne rattachés à l’ensemble des droits de l’homme et secondairement comme des droits de communautés.

-          La conception économique est très présente dans la Convention de l’UNESCO, la vision anthropologique domine dans le texte de Fribourg. Quant aux textes fondateurs des agendas 21 de la culture on y trouve un mélange des 2.

 

 

4) Des droits culturels à la théorie de la reconnaissance

 

Droits culturels, droit à la dignité, droit au respect, nous ne sommes pas très loin d’Axel Honneth et de sa théorie de la reconnaissance. L’actuel chef de file de l’Ecole de Francfort se demande comment retrouver une relation vraie à autrui, à soi-même et au monde. En insistant sur l'importance de la reconnaissance et du respect de l'individu et en mettant au jour la façon dont le capitalisme néolibéral y porte atteinte, répond Axel Honneth. Il prolonge ainsi la Théorie critique des fondateurs de l'école de Francfort et s’inscrit dans une tradition philosophique dont la préoccupation première n'est pas tant de pointer les inégalités ou les injustices sociales, que de mettre au jour les critères éthiques d'une vie accomplie ou simplement plus humaine. Honneth, qui n’est pas un spécialiste des questions artistiques, est assez éloigné des préoccupations d’Adorno, Horkheimer ou Benjamin. Il ne cherche pas spécialement à protéger l’aura de la création artistique des perversions de l’industrie culturelle, mais à valoriser le partage d’expériences et d’expressions identitaires dans le domaine artistique ou intellectuel comme réponse pertinente à la réification du monde sous l’égide du capitalisme néo-libéral.

 

Les événements actuels en Guadeloupe et la part très importante qu’y prennent les acteurs culturels me semblent donner une résonance toute particulière à l’approche de cet auteur que j’ai découvert tout récemment lors de l’université d’été d’ATTAC en août dernier.

 

 

5) Sur un plan pratique la démarche ascendante est aujourd’hui présente dans nombre d’initiatives de terrain. Importance de l’insertion territoriale des activités culturelles : le territoire et ses habitants plutôt que le public d’habitués et les équipements. Une expérience parmi d’autres : les nouveaux commanditaires de l’art soutenu par la Fondation de France : résidences d’artistes organisés à la demande de groupes d’habitants.

 

Les nouveaux commanditaires sont des citoyens, seuls ou regroupés, qui expriment une volonté de changer leur environnement ou leur condition et prennent la responsabilité de la production d’œuvres d’art.

Qui sont les médiateurs ? Des hommes et des femmes, spécialistes de la création contemporaine, qui se mettent à l’écoute des citoyens et des artistes sur le terrain. Ils vont à la rencontre d’éventuels commanditaires, les aident à formuler leur demande, à trouver l’artiste qui peut les aider, à réunir le budget et organiser la réalisation de l’œuvre.

Qui sont les artistes ? De toutes les cultures, de tous horizons géographiques, ils agissent dans tous les domaines de la création : architecture, arts plastiques, cinéma, musique …

Qui finance et à qui appartiennent les œuvres ? Les œuvres sont cofinancées par des moyens privés ou publics dédiés à l’intérêt général. Elles appartiennent à la communauté représentée par des collectivités et des établissements publics ou des associations à but non lucratif.

 

Pas mal d’initiatives dans les friches, les NTA. Fin des grandes utopies mais développement de micro utopies disséminées. (M.C. Bordeaux)

 

Parler aussi de Pronomads et plus généralement de l’interaction territoire/initiatives culturelles : les résidences

 

Quelques questions d’actualité : bien public oui ou non. C’est un bien public en devenir car inégalement partagé Cf Bourdieu même si Bernard Lahire a nuancé le tableau avec ses dissonnances.

Faut-il soutenir la gratuité ? A priori oui puisque un bien public se définit en fonction d’un droit et non d’une capacité financière. Par ailleurs l’exemple d’Internet montre que les biens culturels correspondent bien aux caractéristiques économiques des biens culturels : non rivalité et non exclusion. Mais la culture a un coût et les pratiques culturelles cultivées sont l’apanage d’une minorité (14% de la population). N’est ce pas faire un cadeau aux favorisés, une sorte de niche fiscale. 65% des visiteurs du Louvre sont des touristes.

 

 

II Valeur d’échange et valeur d’usage de la culture

 

 

Les termes varient un peu pour exprimer. Xavier Greffe parle de valeur extrinsèque et de valeur intrinsèque. 2 facettes de l’activité artistique et culturelle :

 

Valeur d’usage

 

Au centre de tout projet culturel : valorisation du sensible, enrichissement des imaginaires individuels et collectifs par le biais de pratiques artistiques (acteur/spectateur, amateur/professionnel…)

 

Besoin de dispositifs pour favoriser ces pratiques : des lieux, des budgets, des événements… (au cœur des espaces de vie des habitants) mais aussi des artistes, des élus, des professionnels de la culture, des animateurs…

 

C’est le premier registre de légitimation des acteurs culturels. Une expression revient souvent sous leur bouche : c’est la question du sens (dimension esthétique – le sensible- et éthique : la finalité de l’action. Tout le monde reconnaît cette dimension, même le Président de la République qui a tout récemment appelé à défendre « la culture pour la culture ». Même les industries culturelles qui, pour reprendre une expression de Bernard Stiegler, jouent sur les pulsions et non sur les désirs. Pour le dire autrement, et comme mon ami Constant Kaimakis, la principale valeur d’usage de la culture marchande c’est la promotion de la culture de marché.

 

Valeur d’échange

 

Certains auteurs parlent de valeur extrinsèque et de valeur intrinsèque, d’autres d’autonomie et d’hétéronomie… On parle souvent d’instrumentalisation de l’art et de la culture. Je n’aime pas trop ce terme qui pourrait laisser entendre que l’activité culturelle pourrait se développer en dehors de la sphère socioéconomique. La valeur d’échange c’est ce qui relie l’action artistique et culturelle au monde social. La valeur d’échange de la culture c’est sa fonction d’échangeur social. C’est tout sauf secondaire, c’est tout sauf méprisable ! Du point de vue des élus locaux en charge des politiques culturelles (c’est le domaine que je connais le moins mal) la valeur d’échange de la culture se décline sur 4 registres principaux.

 

Les retombées financières de l’investissement culturel

 

La culture comme élément d’attractivité territoriale (attirer des touristes, attirer de nouveaux résidents, augmenter le « capital créatif » du territoire) Je reviendrai dans un instant sur cette question de créativité

 

La culture est convoquée aujourd’hui dans les territoires pour traiter de nombreuses questions de société. Vous avez d’abord la recherche de retombées financières à l’occasion d’un événement-phare (festival d’Avignon) ou d’un signal architectural de première importance (le syndrome de Bilbao). La valorisation des marques culturelles est en cours de développement. Le rapport Jouyet-Lévy de 2007 sur l’économie de l’immatériel soutient fortement de telles initiatives. Nantes s’y est mis en exportant le concept « folle journée » au Japon. Mais l’exemple le plus frappant est celui de la marque Louvre à Abou Dabi. On nous dit que la valeur d’usage sera préservée (les tableaux restent propriété du Louvre et des spécialistes français surveilleront les conditions d’accrochage). On nous dit aussi que la valeur d’échange de l’opération ne se réduit pas aux quelques centaines de millions d’euros mais qu’elle contribuera à ouvrir le monde islamique à la culture occidentale (Pierre Rosenberg sur France culture). C’est proprement scandaleux d’abord parce que c’est condescendant et aussi parce qu’on sait très bien que ces projets dans le golfe sont des projets hors sol destinés à attirer les touristes friqués du monde entier. A une échelle beaucoup plus modeste de nombreuses villes et communes rurales mettent en avant le thème de l’attractivité territoriale (faire venir des touristes ou de nouveaux résidents) Ex de l’agglo toulousaine où les communes de la périphérie n’hésitent pas à utiliser l’atout culturel pour attirer le gratin des classes moyennes. Certains spécialistes parlent de l’avantage concurrentiel dont disposeraient les « villes créatives ». Sans doute pas faux mais pas mal d’illusions à ce sujet. Un économiste américain, Richard Florida, a monté outre atlantique une fructueuse entreprise de consultance qui promet un développement économique accéléré à toutes les villes du monde qui ouvriraient grandes leurs portes à la « classe créative ». C’est un peu plus compliqué que cela : encore une histoire de poule et d’œuf….

 

Un autre registre est celui de l’identité et de la cohésion sociale. C’est un argument fréquemment employé pour justifier l’intervention artistique et culturelle dans les quartiers dits sensibles. On ne peut que se réjouir de telles initiatives et regretter qu’elles ne soient pas plus développées. Quant on regarde la carte de répartition des crédits culturels sur la ville de Toulouse, on s’aperçoit que le noyau central de la ville reste très privilégié. La nouvelle municipalité a promis des changements dans ce domaine. On va voir…

 

On peut tout de même s’interroger sur cette mission sociale de l’art. D’abord identité et cohésion sociale ne vont pas forcément de pair. Les expressions identitaires ne conduisent pas forcément au consensus ou à la paix sociale. Elles appellent nécessairement, sinon la guerre, la confrontation des imaginaires. Voir la Guadeloupe aujourd’hui. Passer du multiculturalisme à l’interculturalité dans les quartiers c’est un beau projet mais cela ne se règle pas uniquement par la magie de l’art ou des mots. L’autre jour Yves Michaud était un peu agacé par les références à la créolité de Glissant. La créolité c’est une projection vers l’avenir, c’est mieux que le métissage… Fort bien mais Michaud n’avait pas tort de rappeler, même s’il le faisait de façon un peu maladroite, que ce slogan mobilisateur ne suffit pas par lui-même à produire du changement social.

 

 

Valeur d’usage, valeur d’échange, culture descendante/culture ascendante, des tensions à gérer plus que des oppositions frontales. La tension est forte. Ainsi les responsables culturels sont très fortement sollicités pour défendre les valeurs extrinsèques de la culture. C’est un devoir social, accompagné d’une nécessité financière qui oblige à rechercher des sources de financement dans d’autres lignes budgétaires.

 

 

2 pistes parmi d’autres

Les perspectives de l’économie solidaire

L’agenda 21 de la culture

 

 

Principes de l’économie solidaire (Cf Laurent Gardin Les initiatives solidaires : la réciprocité face au marché et à l'Etat. Erès)

 

Comportements  économiques Critères distinctifs


Marché

Redistribution

 Réciprocité

Relations entre
acteurs

Relations d’équivalence entre les biens et services

Relation   hiérarchique avec une autorité centrale

Relations symétriques  entre personnes et groupes


Temps

Immédiateté de
l’échange

Relation durable

Relation durable
encastrée dans relations sociales


Principe dominant

Intérêt - Gain

Obligation

Don/contre-don

 

Agenda 21 de la culture

Le GLU

- 16 principes pour tous les goûts

- La participation citoyenne comme référentiel principal

 

Tout cela reste assez balbutiant. Dans le champ culturel il existe beaucoup de micro initiatives intéressantes, mais dans un contexte général de perte de crédits et de perte de référentiels. A court terme peu probable que la culture soit un chemin de « sortie de crise ». A plus long terme c’est différent : nos société auront sans doute besoin de moins de biens mais de plus de liens et d’un renouvellement de nos imaginaires pour construire un nouveau monde...



[1] Marc Le Glatin, Internet, un séisme dans la culture ? Ed. de l’Attribut, 2007.

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commentaires

J
<br /> Bonjour et merci pour la transcription de l'intrevention d'Alain Lefebvre que j'ai fait tourner sur mon blog :<br /> <br /> http://cite.over-blog.com/article-les-nouveaux-enjeux-des-politiques-culturelles-68286047.html<br /> <br /> <br />
Répondre