l'APRES se "délocalisait"pour fêter le vin nouveau de Rémi Kuntz à "l'Herbe Tendre"... Pour une association qui oeuvre pour la relocalisation! Mais (ouf...) il ne s'agissait que de quelques centaines de mètres!
Question "délocalisation", nous allions être entrainés par Samir Arabi jusqu'à l'autre bout de la Méditerranée, de la Roumanie à la Turquie et jusqu'à la Perse pour sa goulleillante "Eloge su vin" qui nous éloignait temporairement des vignes de Rémy vers Cahuzac sur Vère.
Devinette Parisienne
QUELLE ville ressemble au vin?
Paris.
Tu bois le premier verre
Il est âpre,
Au second
il te monte à la tête,
Au troisième
il te cloue à la table.
Garçon, encore une bouteille !
Et depuis lors, où que tu sois
où que tu ailles
tu es ivrogne de Paris, mon vieux.
Nazim HIKMET
Rémy Kuntz et Samir Arabi
Eloge du vin de Mahmoud DARWICH
Je contemple le vin dans la coupe avant de le goûter. Je le laisse respirer l'air dont il fut privé des années durant. Il a étouffé pour préserver ses traits particuliers, fermenté dans son sommeil, fait pour moi provision d'été et de mémoire du raisin. Je le laisse choisir sa couleur. Improprement qualifiée de rouge, elle est le mélange d'un carmin imbibé d'une nuée à la noirceur légère. Couleur qui n'a de couleur que son propre nom : vineuse. Ce qui nous dispense de chercher plus loin. Je le laisse se délecter de son bouquet, ce parfum orgueilleux qui, ainsi que les femmes - citadelles, ne vient pas à toi, si tu veux le humer. A toi de t'assurer de la pureté et de la présence d'un quelconque parfum sur ta main, puis de la tendre vers la coupe, avec une fluidité sentimentale, comme si elle s'approchait d'un sein. Tu rapproches la coupe de tes narines avec la patience de l'abeille et un parfum dense, secret, comparable à la couleur qui te fait pénétrer dans les couvents anciens, te disperse.
Je le laisse rassembler les nuances de son goût jusqu'à ce que lui et moi soyons prêts pour l'accueil en bouche d'une révélation. Je ne me presse ni ne m'attarde, cela briserait la cadence de la jouissance. Je porte la coupe à mes lèvres avec l'appréhension de celui qui quémande un premier baiser d'une femme aux sentiments obscurs. Je sirote une gorgée légère et je regarde vers le haut, yeux à demi clos, jusqu'à ce que la quintessence d'une griserie circule dans mes veines. Mon appétit s'ouvre alors à ce qui sied au vin de suite royale. Le vin me porte à un rang plus élevé, ni céleste ni terrestre. Il me donne la conviction que je peux être poète, ne serait-ce qu'une fois!
Omar Khayyam
« Elle passe bien vite cette caravane de notre vie
Ne perds rien des doux moments de notre vie
Ne pense pas au lendemain de cette nuit
Prends du vin, il faut saisir les doux moments de notre vie »
Sois heureux... tu ne sais pas d’où tu es venu,
Bois du vin... tu ne sais où tu iras.
Puisque nul ici ne peut te garantir un lendemain,
Rends heureux maintenant ton coeur malade d’amour.
Au clair de lune, bois du vin, car cet astre
Nous cherchera demain et ne nous verra plus.
Nous sommes les pièces du jeu que joue le Ciel,
On s’amuse avec nous sur l’échiquier de l’être,
Et puis nous retournons, un par un, dans la boîte du Néant.
Je connais le dehors de l’être et du non-être,
Je connais l’intérieur de tout ce qui est haut et bas :
Pourtant, quelle honte de mon savoir
Si je reconnaissais quelque chose de plus haut que l’ivresse !
Lève-toi, donne-moi du vin, est-ce le moment des vaines paroles ?
- Ce soir, ta petite bouche suffit à tous mes désirs.
- Donne-moi du vin, rose comme tes joues...
- Mes voeux de repentir sont aussi compliqués que tes boucles.
Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous l'argile,
- Sans un intime, un ami, un camarade, une femme ;
- Veille à ne jamais
dire ce secret à personne :
- Les tulipes fanées ne refleuriront jamais.
Ceux dont les croyances sont basées sur l'hypocrisie
- Veulent
faire une distinction entre l'âme et le corps.
- Moi, je sais que le vin seul a le mot de l'énigme
- Et qu'il donne conscience d'une parfaite Unité.
Limite tes désirs des choses de ce monde et vis content.
- Détache-toi des entraves du bien et du mal d'ici-bas,
- Prends la coupe et joue avec les boucles de l'aimée, car, bien vite,
Tout passe... et combien de jours nous reste-t-il ?
Quand je serai terrassé sous les pieds du destin,
- Et que l'espoir de vivre sera déraciné de mon coeur,
- Veille à faire une coupe avec ma poussière :
- Ainsi, rempli de vin, je revivrai peut-être.
Je suis le fils du vin. De cette nourriture,
Je ne serai sevré qu'à la fin de ma vie.
Je le dispense à tous et sans parcimonie,
Comme s'il fût pressé de ma propre ossature.
Je le verse aux garçons de ma sorte, à l'envi,
Et pervertis la fille honnête de nature.
Qui le goûte s'envole en l'air,
perd l'esprit, mais devient disert.
Avec des jeunes gens, dans la nuit, j'appareille,
le cœur en chasse d'un vin fort,
vers la taverne, le bon port
qui nous promet monts et merveilles.
Le tavernier, tiré de son sommeil,
A peur- car nul Dieu ne veille.
Il feint d'être endormi, redoute les potins :
Son cœur bat la chamade.
Nous l’appelons, et son angoisse alors s’évade,
car il est sûr de faire un appréciable gain.
Il se hâte d'ouvrir en criant: « Me voilà! »
A notre vue, il est transporté d'aise.
Il sourit jusqu'aux dents et nous salue bien bas,
car l'avant-goût de son profit l'apaise.
« Entrez! », dit-il, « Soyez les bienvenus!
Je vous souhaite une longue vie. »
Il allume la lampe et s'apprête, assidu,
à satisfaire notre envie.
Nous lui disons : « Vite ! Sers-nous de ton vin vieux!
Les ténèbres vont se défaire ! »
Voici venir un vin impétueux
qui pétille dans notre verre.
L'arôme de ce vin d'âge parfume l'air
et son or brille comme un feu.
Voici venir le temps de goûter un vin d'or
dans l'argent de quelque timbale.
Nous demandons: « Qui est semblable à l'or ? »
Le vin, bien sûr. La différence principale,
c'est que l'une est solide et l'autre ne l'est pas.
Certains des gobelets d'argent sont nus et lisses,
tandis que d'autres sont gravés comme calices,
avec une image en forme de croix
et de prêtre qui lit les Évangiles.
Enfin, le vin doré, au gobelet vermeil
fait comme un ciel que constellent des bulles,
qui sont autant de grains aux doigts
des jeunes filles
dont le jeu n'est à nul autre pareil.
Ce vin, plus pur que l'eau, ce vin est sans pareil
l'eau, qui craint le mélange, évite de lui plaire.
Mais, si l'on mélangeait le vin à la lumière,
le résultat serait lumière sur lumière.
ABU-NUWAS أبو نواس الحسن بن هانئ الحكمي
le vin et la vigne: discussion avec Rémy autour de la table
Le vin de longue vie
Le Maître frappa doucement dans ses mains et ordonna à Vladica d'apporter la carafe. Vladica s'inclina, disparut et revint presque immédiatement, marchant sur la pointe des pieds, osant à peine faire un pas devant l'autre, les yeux rivés sur le flacon qu'il tenait dans ses bras comme un nouveau-né. Avec une crainte révérencieuse, comme s'il eût posé sur la table les saintes reliques, il disposa devant le Maître, dans une corbeille inclinée, un flacon dont l'intérieur était couleur de rouille et l'extérieur revêtu d'une chape de sable durci. Le Maître, de sa propre main et avec une attention infinie, le déboucha. Une vapeur légère flotta quelques instants sur la table. Rejetant la tête en arrière sur le dossier de son fauteuil, le Maître respira profondément. Il m'interrogea à mi-voix:
- Sens-tu?
Je sentais, à la vérité, à travers le parfum accoutumé de lavande et des vieilles choses de la maison, s'élever une fragrance plus subtile, plus insinuante, irritante et lascive. Je regardai autour de moi, tout étonné. Il me semblait qu'on eût oublié quelque part un encensoir ardent. Je lui répondis simplement:
- Comme si l'air embaumait le benjoin ou l'encens.
Le Maître souriait :
- Regarde maintenant sa couleur.
Élevant un verre au niveau de la bougie, il me demanda:
- Que t'en semble?
Ce qu'il me semblait! Dans le verre, ce n'était pas du vin mais de l'ambre. Des ondes cramoisies, phosphorescentes dansaient en irisations infinies dans la masse compacte de ce vin qui avait presque la consistance de l'huile. Ce n'était pas du vin rouge. C'était du vin blanc. Et pourtant, dans la coupe de cristal, sous l'éclat des bougies, ce vin blanc avait des reflets de pourpre et de sang.
Sans attendre ma réponse, le Maître énonça lentement, en détachant chaque mot, comme s'il eût béni le vin:
- C'est mon VLV « vin de longue vie ». Je vais te raconter son histoire. Mais bois, tout d'abord.
Je portai vivement le verre à mes lèvres, comme si j'avais voulu l'avaler d'un trait. Le boyard leva les bras au ciel:
- Pas comme cela, mon garçon! Pas d'une seule gorgée. Humecte d'abord tes lèvres, puis ta langue. Déguste- le goutte à goutte.
Je suivis son conseil. Je fis glisser les gouttes une à une au creux de ma langue jusque dans mon gosier. Elles ne me brûlaient point mais me rafraîchissaient au contraire et parfumaient mon haleine. Il me semblait parfois avoir tout un jardin sous le palais. J'en savourais l'arôme en me disant : voilà que moi aussi, je comprends le vin!
Aucune âcreté ne naissait dans ma gorge, aucune lourdeur ne me pressait les tempes. À l'inverse, je me sentais lucide, joyeux, léger. En éclatant presque de rire, je dis au Maître :
- Tu te moques de moi, Maître! Ce vin est fait pour des femmes et des enfants mais non pas pour des hommes.
Le Maître me regardait fixement. Lui aussi avait du rire plein les yeux; mais des yeux bien plus vifs, bien plus jeunes qu'à l'ordinaire. Et sa voix me parut plus sonore et plus mâle lorsqu'il me répondit:
- Naturellement. Ne t'ai-je pas dit? Ne t'ai-je pas prévenu? C'est le vin de jouvence.
- Buvons alors, monsieur!
- Buvons, mon fils!
Et il me versa un second verre. Il avait la même couleur, le même parfum: mais encore plus insinuant, peut-être, plus pénétrant. En le savourant, je le respirais de mes narines ouvertes et je le sentais au même instant dans les fosses nasales et sur la pointe de la langue. Si je n'avais pas su me trouver dans la demeure du Maître , j'aurais juré être dans un champ de fleurs, sur une meule de foin ou bien dans une église. L'arôme du vin, plus que le vin lui même, me pénétrait dans les profondeurs de l'âme. Il m'allégeait le corps. Il m'ouvrait l'esprit. Je voyais clair, comme si je n'avais pas vu seulement de mes yeux, mais de mon front, de mes oreilles, de l'extrémité de mes doigts. Je n'étais pas ivre. Jamais je n'ai bu. Mais il n'est pas difficile de se représenter cette ivresse qui change l'homme en bouffon ou en fauve et le prostre à terre comme une brute. Moi, je ne me livrais ni à des grimaces ni à des hurlements. J'étais bien, comme peut l'être une terre humide éclaboussée de soleil. .. Je me serais volontiers allongé. Je flottais dans une sorte de béatitude infinie. Et pourtant, admirable contraste! Je sentais se lever en moi des vagues de santé, d'exubérance et de jeunesse. Je criai joyeusement au boyard:
- Du vin comme celui-ci, je pourrais en boire toute la nuit. Il ne t'enivre pas. Il te revigore. Il te rajeunit.
- Tiens! Ne te l'avais-je pas dit?
- Si fait, tu me l'avais dit.
Et je frappai du poing sur la table. Je le regardai avec des yeux hilares.
- Mais tu ne m'as pas tout dit, boyard. Tu me dois encore une réponse. Qu'en est-il de l'histoire?
- Eh! C'est une longue histoire, mon enfant ... Il s'est écoulé tant de temps depuis lors ... Je pourrais commencer comme dans les contes de fées : il était une fois ...
Voilà, vous avez découvert « le vin de jouvence ». J’imagine, après la lecture des spectateurs réservés et timides s’avançant vers moi l’air gêné pour me dire :
- nous avons bien apprécié votre lecture,
Je vous remercie.
Et puis discrètement, ils me demandent :
- où peut-on procurer le vin de longue vie ?
Et bien il suffit de négocier avec N.D.Cocea / Edition le serpent à plumes. Si non pour faire plus moderne écrire à : cocea@levondelonguevie.roum roum comme Roumanie
Vous avez aimé son vin?
Contact de Rémy Kuntz
05 63 33 98 23
masbrunet@wanadoo.fr
Creusez ma tombe
N’es-tu donc pas heureux, quand la terre fleurit?
Quand le vin accessible et vieilli dans les jarres,
est vierge encore ?Il faut le boire,
car il est engendré par la vigne et la nuit.
Creusez ma tombe, amis, dans le pays du vin,
Au milieu des pressoirs et des plants de raisin,
Loin surtout du soupir des épis et des fleurs,
Que de mon trou je puisse entendre à la bonne heure
Le sol trembler sous la foulée des vendangeurs.
ABU-NUWAS
Vous avez aimé "L'Eloge du vin" ?
Samir Arabi
poursuit depuis 2007 une exploration de la littérature et de la poésie arabe.
Des auteurs :
- Nazim Hikmet / Anthologie poétique / Les éditeurs français réunis / 1964
- N. D .Cocea / Le Vin de longue vie/ Le serpent à plumes / 1989
- ABU - Nuwas / Le vin, le vent, la vie / Actes Sud / 1979
- ABU - Nuwas / Poèmes bachiques et libertins / Editions verticales / 2002
- Mahmoud Darwich / La trace du papillon / Actes Sud / 2009
- Amos Tutuola / L’ivrogne dans la brousse / Gallimard / 1953
- Baudelaire / Les petits poèmes en prose / Œuvres complètes de Baudelaire publié par l'éditeur Michel Lévy.
Des références :
- Le Dîwân de Bagdad / Le siècle d’or de la poésie arabe / Hoa Vuong et Patrick Mégarbané / Sindbad / 2008
- La poésie arabe / René R. Khawam / Phébus / 2000.