Au Ricon Chileno, ambiance Amérique latine ce soir là...
l'APRES recevait Jean-Pierre Petit-Gras. En préambule il rappelait pourquoi nous avions choisi cette date pour parler de "l'autre Mexique" en ce début de mois de juin.
Le début du festival Rio Loco devait être consacré au Mexique dans le cadre d'une année du Mexique (finalement plus ou moins opaque) suffisamment sponsorisée par des lobbies militaires, sécuritaires ou conforme au "développement" du tourisme imposée aux populations locales, faisait que nous devions en débattre et le faire savoir. Ceci sur fond d' "affaire Cassez"...
Histoire d'en connaître les vrais enjeux.
Après l'assassinat de son fils, le poète Javier Sicilia lance un appel à la paix et la justice. Une Caravane pour la Paix dans la Justice et la Dignité relie, du 4 au 10 juin, Cuernavaca, au sud de la capitale, de Ciudad Juárez, à la frontière avec les Etats-Unis.
Mexique : affaire Cassez, les vrais enjeux
L’ affaire Cassez empoisonne les relations diplomatiques entre le gouvernement de Felipe Calderón et celui de Nicolas Sarkozy. Tout pourtant semblait aller pour le mieux. Sous le double patronage du groupe militaro-industriel Safran et de « Miguelito » Alemán Velasco, l’ « année du Mexique en France » démarrait en fanfare. Expositions sur les cultures précolombiennes ou autour d’artistes prestigieux (José Guadalupe Posada, Diego Rivera, Frida Kahlo), festivals de cinéma et représentations théâtrales... Avec, en sous-main, toute une série d’activités moins « grand public », mais beaucoup plus lucratives...et meurtrières.
En effet, la guerre livrée par le gouvernement mexicain, sous couvert de « lutte contre le narco-trafic », vise essentiellement les populations rurales, indigènes, ou celles des quartiers populaires qui essaient de résister au pillage leurs richesses, aux destructions écologiques et à la désintégration économique et sociale.
Face à ces résistances, et aux « dégâts collatéraux » causés par la rivalité entre les cartels, le marché de l’armement et des équipements ultra- sophistiqués de « sécurité » et de surveillance connaît une véritable explosion dans le pays. C’est pourquoi le groupe Safran, déjà implanté dans l’Etat de Querétaro, Eurocopter, etc. voisinent dans le « comité des mécènes » avec un groupe tel que Schneider Electric, spécialisé dans la « gestion des énergies »(comprenons, dans l’appropriation de l’eau et des ressources minières), la construction d’hôtels de luxe, etc.
En décembre 2005, la jeune française a été arrêtée avec son ancien compagnon, Israel Vallarta, accusé d’être le leader d’une bande spécialisée dans les enlèvements, les « Zodiacos ». Certes, des témoignages de victimes de cette bande, notamment une femme, Cristina Ríos Valladares, et son enfant de 11 ans, accablent Florence Cassez. Et nombreux sont les Mexicains qui croient à sa culpabilité. Mais la conditions mêmes de cette arrestation, « rejouée » pour les journaux télévisés, montrent bien que la police tenait des coupables, avant même le jugement. Un autre témoignage, celui de David Orozco, et signalant Vallarta et Cassez comme les dirigeants de la bande, a été « arraché sous la torture », selon cet homme qui par la suite se rétractera publiquement.
Nous nous en tiendrons à remettre en cause une justice aux ordres d’un pouvoir qui choisit soigneusement ses coupables, et épargne presque toujours les puissants. Mais le Mexique est-il le seul pays où cela se passe ainsi ? En outre, dans ce contexte de violence et de corruption généralisées, les monstrueuses peines de prisons n’ont qu’un but : effrayer la population, la dissuader de toute résistance. Car une grande partie des détenus, qui vivent dans des conditions effroyables, soumis aux menaces et extorsions en tout genre de la part des gardiens et des caïds, sont emprisonnés pour des raisons on ne peut plus politiques, liées à leur opposition aux abus et autres « projets » des pouvoirs locaux ou régionaux.
Tel est actuellement le cas, parmi tant d’autres, au Chiapas, où 140 paysans indigènes mayas tseltal, sympathisants de l’ « Autre Campagne » de l’EZLN, ont été récemment arrêtés par la police et l’armée. Leur crime était de refuser que les partisans du pouvoir local monopolisent l’accès au site touristique des cascades d’Agua Azul. Après plusieurs jours d’incarcération et de tortures, 10 d’entre eux ont été transférés à la prison de Playas de Catazajá, accusés de meurtre.
Il est à craindre que Martine Aubry et Michèle Alliot Marie, qui menacent de boycotter l’année du Mexique en France, demeurent tout à fait discrètes sur ce genre de situation.
Et qu’elles ne diront rien pour dénoncer le commerce des armes ou le saccage des territoires indiens, pendant que l’on montre les oeuvres d’une Frida Kahlo, qui admirait la culture indigène, ou que l’on s’extasie devant les masques de jade mayas...
Jean-Pierre Petit-Gras
Projection du film produit par Promedios: "Quand la justice se fait peuple"
Extraordinaire musique de la région de Vera Cruz. Les sept musiciens nous font voyager sur des rythmes rapides. La mémoire de l'Afrique n'est jamais loin. Histoires de bateaux et marins... L'amour n'est jamais loin non plus!
Mexique : la Caravane de l'espoir
Emboîtant le pas à une longue tradition de marches entreprises par les indigènes zapatistes du Chiapas1, des milliers de participants à la Caravane pour la Paix dans la Justice et la Dignité se préparent à parcourir, du 4 au 10 juin, la longue distance qui sépare Cuernavaca, au sud de la capitale, de Ciudad Juárez, à la frontière avec les Etats-Unis.
De Cuernavaca était déjà partie, le 8 mai dernier, la Marche Nationale pour la Paix, à l'initiative du poète Javier Sicilia2. Manifestement, ni la douleur, ni l'indignation, ni la clarté des exigences portées par Sicilia et des centaines de milliers de manifestants n'ont infléchi la politique du gouvernement de Felipe Calderón, qui persiste et signe dans la guerre qu'il prétend mener contre les narco -trafiquants. Une guerre qui a causé plus de 40 000 morts en moins de 5 ans, la plupart victimes collatérales d'un conflit dont les objectifs ne trompent plus grand monde. La politique de « sécurité nationale », inspirée directement par le gouvernement des Etats-Unis3, se traduit par une militarisation de régions entières du pays. Un déploiement militaire et policier qui aggrave, quand il ne la déclenche pas, une violence absolument pas aveugle. Elle a pour cibles principales les mouvements sociaux, les femmes, les villages indigènes, les migrants et la jeunesse populaire. Mais d'autres secteurs de la société, notamment dans les classes moyennes, sont aussi touchés. En particulier par le développement des agressions et enlèvements, souvent perpétrés avec la complicité de forces de l'ordre gangrenées par la corruption et l'impunité dont elles jouissent. Le centralisme autoritaire et brutal, sous la botte d'un président élu après une fraude aussi massive que manifeste, a pour but d'accélérer la destruction d'un tissu social encore vigoureux, afin de laisser la voie libre au pillage des ressources et à l'exploitation sans limite des populations.
Calderón a donc refusé de répondre à l'appel de Javier Sicilia. Pourtant, le « Halte à la guerre » de ce dernier ne relève pas du discours rhétorique. Il exprime la conviction que seule la société civile mexicaine (dans toutes ses composantes, et en particulier les classes populaires) est capable de mettre fin à la violence qui ravage le pays.
Sicilia et ses amis ont entamé une lutte de longue haleine. Ils impulsent une stratégie de masse, pacifiste mais extrêmement ferme, indépendante de tous les partis politiques, dénoncés comme corrompus et complice de la violence. Un mouvement résolu à aller jusqu'au bout, et que certains observateurs4 n'hésitent pas à comparer avec celle de Gandhi.
Dans ce combat, peut-être celui de la dernière chance, le Mexique « d'en bas » pourra compter sur la participation active des pueblos indigènes, qui du Chiapas à Ostula et Cherán5, dans le Michoacán, en passant par la Costa Chica et la Montaña dans le Guerrero, ont réactivé les anciennes traditions des polices communautaires6. Dans ces régions les habitants des villages (indigènes ou non) ont repris en main leur sécurité, après avoir destitué ou chassé les policiers officiels corrompus. Ils ont nommé leurs propres policiers, suivant le principe de la rotation des responsabilités et la révocation éventuelle par l'assemblée. Et la délinquance, celle des narco-trafiquants et de leurs acolytes, officiels ou non, y a considérablement reculé.
Ces exemples d'organisation et d'auto-défense indigènes seront de précieuses références dans la résistance qui se construit aujourd'hui au Mexique, comme le souligne Javier Sicilia dans un entretien avec la journaliste Gloria Muñoz7.
La Caravane pour la Paix dans la Justice et la Dignité atteindra Ciudad Juárez le 10 juin. Dans cette ville, des centaines de femmes ont été violées et assassinées au cours de ces dernières années. Tout simplement parce que dans cette zone de maquiladoras et de night clubs où viennent se défouler un certain type de touristes gringos, les femmes sont ravalées au rang de marchandises taillables, corvéables et jetables après usage. Mais à Ciudad Juárez, justement, bravant la double menace des gangs et des polices locales, des groupes de femmes et de jeunes s'organisent8.
Face à la guerre de Calderón, le peuple mexicain n'a pas dit son dernier mot.
Juin 2011 Jean-Pierre Petit-Gras
1Parmi lesquelles la marche des 1111 communautés zapatistes en 1997, la marche Couleur de la Terre en 2001, mais aussi les caravanes de solidarité en provenance de Mexico et d'autres villes du pays, qui année après année ont visité les communautés de l'EZLN en résistance. Il faut également mentionner celles qui ont tragiquement échoué dans leur tentative de briser l'encerclement paramilitaire, comme à San Juan Copala (Etat de l'Oaxaca) en 2010.
2Le fils de Sicilia venait d'être assassiné, en même temps que six de ses camarades. Le procureur avait qualifié le crime de « règlement de comptes ».
3Et mise en application avec la fameuse « Initiative Mérida », un véritable remake du Plan Colombia.
4Carlos Fazio, par exemple, dans http://desinformemonos.org/2011/06/sobre-seguridad-nacional-la-marcha-y-la-guerra/
5Nous reviendrons prochainement sur la situation dans la communauté p'urépecha de Cherán. Mais on peut lire une série d'articles passionnants sur cette expérience, dans la revue en ligne Desinformémonos du mois de juin 2011.
6Appelées parfois gardes communales. Ajoutons que ces tâches de maintien de l'ordre, demandées aux jeunes des communautés, ne sont pas rétribuées. Elles font partie des services que chaque membre du village doit à la collectivité. Et reçoit de celle-ci, par réciprocité.
7http://desinformemonos.org/2011/06/el-zapatismo-conserva-una-gran-reserva-moral-javier-sicilia/print/
8On peut lire, toujours en espagnol, l'article de Julián Contreras, du Frente Plural Ciudadano de Ciudad Juárez.
http://desinformemonos.org/2011/06/justicia-paz-y-desmilitarizacion-exigen-en-ciudad-juarez/